ESPRIT SHAMAN
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Les images se multiplient, fugaces et vives,
Insaisissables demeures des richesses éternelles
D'un esprit qui contemple loin du temps
Tous les mondes possibles
L'Esprit Shaman
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Le chamanisme, il faut le créer, l'inventer. Il n'existe pas en tant que formule, en tant que temple, en tant que système. C'est une réanimation permanente du vivant.
Luis Ansa, le Secret de l'Aigle

.L'homme succombera, tué par l'excès de ce qu'il appelle la civilisation. J. H. Fabre



L'animal et le pouvoir du son


http://ethnomusicologie.revues.org/177

 La première partie de l’ouvrage, « Les voix de la nature » (pp. 10-41), est consacrée à une évaluation quelque peu impressionniste des origines de la musique humaine. Pour donner un sens à sa place dans l’univers, l’homme préhistorique aurait élaboré un mode de communication sonore avec l’ordre naturel et « l’être supérieur » en exploitant notamment les propriétés acoustiques des cavernes. Certains de ces sanctuaires naturels seraient ainsi porteurs d’une « carte de résonance » comportant des « nœuds », des « ventres » et des « portes » acoustiques. Selon l’hypothèse développée par l’auteur, qui fait siennes les observations et les conjectures de Iégor Reznikoff, c’est leur disposition qui aurait déterminé la répartition des peintures pariétales, réalisées en fonction des propriétés acoustiques des grottes. Elle prolonge plus loin cette réflexion en notant que « les lieux sacralisés par l’homme sont presque toujours des espaces de résonance privilégiés » (p. 47), s’appuyant notamment sur l’exemple des cathédrales, où, selon les principes d’une « science architecturale entièrement vouée au son », la voix a cappella « outrepasse son émission naturelle pour s’élancer vers l’au-delà, en un défi qui rejoint celui de l’architecture » (p. 49).

« L’homme va composer son empreinte sonore, marquer sa place dans l’espace ou dans le silence » (p. 29) et inventer les premiers instruments d’une musique aux propriétés essentiellement utilitaires et magiques : sifflets de chasse en phalange de cervidés et flûtes en cubitus de rapace de l’Aurignacien, ocarinas en coquille d’escargot, conques, rhombes, racleurs et sonnailles du Magdalénien ; ces instruments d’origine paléolithique semblent bien avoir eu une diffusion universelle, et l’auteur note que leur pratique est demeurée vivace en plusieurs régions du globe.

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Les modulations de la nature
Le fond sonore sur lequel évolue l'homme préhistorique regroupe une infinie variété de sons naturels jouant sur l'émotion et développant son système acoustique dans des registres très larges, allant du silence le plus profond aux fréquences les plus intolérables. Reconstituer cet univers sonore revient à imaginer les cris de toutes les espèces vivantes à l'époque du Paléolithique moyen (— 100000 à — 60000), dit Moustérien, et le mode de vie des espèces humaines d'alors — Homo sapiens et Homo neandertalensis —, puis au Paléolithique supérieur (— 40000 à — 10000), période que l'on divise en étapes l'Aurignacien, le Gravettien, le Solutréen et le Magdalénien , où survit le seul Homo sapiens sapiens. Les signaux propres aux différentes espèces animales ont été, au cours de ces âges reculés, largement exploités par l'homme, surtout par imitation pour l'approche du gibier. Le vaste registre des cris et signaux utilisés par les animaux entre eux – alertes, intimidation, cris spécifiques aux périodes de reproduction, menaces, etc. – les divers chants et sifflements d'oiseaux, les crissements ou les bourdonnements d'insectes, ajoutés aux bruits de l'environnement naturel : tonnerre, pluie, feuillages agités par le vent, sifflement du vent, forment la toile de fond sonore sur laquelle l'homme va composer son empreinte sonore marquer sa place dans l'espace ou dans le silence.
C'est par les sons qu'il émet que l'homme s'identifie, espèce parmi les autres espèces et groupe social parmi les autres, puis individu au sein d'une communauté.
Suivant la nature, sa végétation et son relief vont se développer des fréquences particulières propres à cet environnement : ainsi, un relief montagneux va favoriser des sons très aigus portant loin d'un sommet à l'autre; d'où l'action naturelle de siffler qui conduit à l'utilisation de sifflets instrumentaux, produisant ces, fréquences élevées.

L'animal et le pouvoir du son
Parmi les instruments les plus anciens dont on ait pu trouver trace dans des galeries datant de l'Aurignacien, le sifflet en phalange de renne représente une étape décisive de la facture instrumentale. Il s'agit de phalanges naturellement creuses - comme le sont les première et deuxième phalanges des, cervidés et ovidés —marquées par des traces de morsures animales; les trous auraient été soit agrandis à partir de ces morsures soit percés de façon parfaitement circulaire en d'autres endroits. Des enquêtes menées par les préhistoriens ont prouvé qu'il s'agit de perforations causées initialement par des morsures de loup — l'ennemi naturel du renne— La transformation par la main humaine de ces phalanges en sifflets implique un échange triangulaire particulier entre l'homme, le loup et le renne, les deux premiers étant les prédateurs du dernier.
Outre les possibilités de communication  qu'offrent de tels sifflets, il faut considérer le comportement animal en relation avec ces sons sifflés. Selon des expériences effectuées sur troupeaux de rennes à 1'aide de sifflets identiques, faits d'une phalange de renne conforme au sifflet paléolithique ou à celui encore utilisé par les Indiens du Nord -Ouest canadien. On a constaté que les animaux s'immobilisent dans leur mouvement au premier sifflement émis; puis, en réitérant cet appel plusieurs fois à quelques minutes d'intervalle, les animaux se couchent et restent immobiles. En revanche, l'utilisation d'un sifflet de police à roulette les fait fuir après une première immobilisation attentive. Les analyses spectrales montrent que la fréquence du sifflet à roulette n'est pas représentée par une ligne stable et rectiligne, comme dans le cas du sifflet en os, mais par une ligne festonnée traduisant une ligne abaissée de façon répétitive - selon le passage de la boule interne; cette non-stabilité du son est perçue comme une menace radicale pour tous les animaux et la fait fuir.
Le pouvoir du son sur l'animal apparaît évident à la lumière de ces expériences, tout comme la distinction qu'il sait faire selon l'instrument utilisé et le mode de sifflement. Si un brusque coup de sifflet suffit à mettre un animal en arrêt, attentif et sur la défensive - c'est le cas pour l'ours et même le lièvre qui se dressent et restent figés, ce qui permet au chasseur d'atteindre facilement sa cible-, un appel prolongé et répété prive l'animal de tout instinct défensif. Cela se vérifie surtout avec les cervidés, particulièrement sensible au pouvoir émollient des sons : certaines fréquences agissent directement sur le système nerveux de l'animal.
Les appeaux dont se servent les chasseurs sont façonnés dans une matière animale précise, appartenant à l'animal chassé ou le représentant de manière symbolique. Là intervient une forme de magie qui tient de la relation entre les espèces, où le pouvoir du son, à travers cet objet intermédiaire qu'est l'appeau ou l'instrument de musique, joue un rôle universellement reconnu.
On peut évidemment imiter des cris d'oiseaux ou d'autres animaux avec la bouche, avec ou sans l'aide des doigts, mais l'interposition d'un élément symbolique, prélevé dans le monde naturel et si possible émanant du corps de l'être invoqué, revêt un caractère magique qui induit et souligne le lien tangible entre la nature, l'animal et l'homme. Dans le cas du sifflet en phalange de renne, un autre acteur s'inscrit dans cette relation plurielle ; le loup, qui a laissé sa marque gravée ou percée dans l'os de sa proie.
Pour autant, toutes les phalanges trouvées sur des sites préhistoriques et portant une perforation animale ne sifflent pas et toutes les phalanges percées ne sont pas non plus des sifflets. L'examen montre que l'homme de Néandertal comme l'homme de Cro-Magnon ont transformé quelques phalanges après morsure par le loup, celui-ci ayant entamé la perforation. L'enfoncement de l'os par morsure produit une entaille en cône, dont l'angle et la position conditionnent la qualité du son; dans certains cas, la marque d'origine animale n'a pas été reprise et le trou de jeu a été pratiqué ailleurs, dans un souci d'une meilleure sonorité. Le son monte en fréquence quand on agrandit le trou et dépend aussi de la longueur de la phalange.

Les sifflets de Cro-Magnon
Le sifflement fait partie des moyens de communication les plus anciens qui soient. Tout comme les oiseaux, dont le répertoire est d'une infinie variété, certains peuples ont élaboré un langage qui, descendant de celui de l'homme de Cro-Magnon, s'est perpétué jusqu'à nos jours. On le rencontre encore chez les Wayapi de Guyane comme au nord du Caucase, aux Canaries comme dans la langue basque. Siffler avec la bouche seule procède de diverses positions des lèvres et de la langue par rapport aux dents et au palais, les doigts ou les mains pouvant, suivant certaines positions, modifier les intonations sifflées. Ainsi, il suffit pour siffler d'arrondir les mains en coupe et d'y faire vibrer l'air émis par la bouche. La forme de la plupart des sifflets se modèle sur cet exemple : ce sont des objets creux, tubulaires, globulaires ou en spirale, contre le bord desquels on souffle en faisant vibrer la colonne d'air ainsi émise. Les sifflets naturels produisent le plus souvent un son unique qui varie selon l'angle d'inclinaison ou l'intensité du souffle; si la taille s'y prête, on peut pratiquer un ou plusieurs trous, constituant ainsi une flûte globulaire qui rendra de un à trois sons distincts. Même à partir de l'émission d'une seule note par sifflet, il est possible, comme en Afrique ou en Mélanésie, de combiner des rythmes ou des mélodies en élaborant des timbres différents. C'est en coupant des bambous de différentes longueurs pour en faire des sifflets de hauteur sonore distincte et en les rangeant par ordre de grandeur qu'ont été conçus des échelles de notes et des instruments tels que la syrinx ou l'orgue à bouche chinois.
À en juger par le nombre important de sifflets trouvés sur des sites de fouilles archéologiques et de leur diffusion dans le monde, on peut penser que cet instrument est l'un des premiers utilisés par les hommes de la préhistoire. Depuis la fin du xix, siècle, de nombreuses collectes ont été faites de phalanges de cervidés, antilopes, bouquetins, chamois, cerfs, chevreuils, rennes - et également de chevaux datant de la plus ancienne période du Paléolithique supérieur, (Aurignacien (- 40 000 ans), et que l'on retrouve pendant tout le Paléolithique supérieur. La plus ancienne, appartenant à un bouquetin, remonte au Paléolithique moyen (- 60000 ans), donc à l'homme de Néandertal. Preuve a été faite qu'elles étaient essentiellement utilisées en tant qu'instruments de musique et leurs qualités acoustiques, mises à l'épreuve, révèlent un son aigu et pénétrant d'une grande qualité, certainement précieux pour la chasse.
Le fait qu'aujourd'hui encore des os de volatiles soient utilisés par certaines populations confirme l'usage de ces sifflets et met en évidence la pérennité de cette pratique. Les Indiens Arapaho du Nebraska se servent de sifflets similaires, en os de dindon sauvage, émettant deux sons distincts, selon que l'on souffle dans l'une ou l'autre des extrémités; il s'agissait traditionnellement d'un signal de guerre, soit pour l'attaque, soit pour la retraite. Trois des os creux formant l'aile de l'oiseau servent de préférence pour ces sifflets : l'humérus, le cubitus et le radius, ce dernier pouvant faire usage de sifflet à ultrasons s'il est assez petit. Utilisé tel quel, l'os peut être bouché à ses deux extrémités en pratiquant un trou latéral de jeu, à moins que l'une des extrémités soit ouverte, si ce n'est les deux. Toutes sortes d'autres fonctions peuvent se concevoir à l'aide de ces os conjointement à la fonction musicale, selon la possibilité d'aspiration ou de soufflage qui s'offre.
Certaines tribus indiennes d'Amérique du Nord, ainsi que les Inuit de l'Arctique, utilisent un tuyau de plume naturellement creux comme sifflet. Ce peut être des plumes de condor ou de cygne, plus ou moins longues et de diamètre variable À côté de cet instrument naturel coexistent des sifflets conçus à partir de conformations végétales dont on a tiré parti tant pour leur capacité sonore pour leur aspect anthropomorphe : il petit s'agir par exemple d'une fourche de bois ressemblant à un visage, dont les nœuds suggèrent des yeux et les deux embranchements figurent des cornes dans lesquelles on a planté deux plumes. On se sert de cet instrument improvisé en soufflant dans la branche principale, les deux plumes se trouvant tuyau vers le haut, selon la même technique que pour souffler dans la plume seule.
Bien d'autres matières peuvent entrer dans la composition d'un sifflet de la pierre naturellement perforée aux noyaux de fruits séchés ou aux roseaux et bambous sectionnés
selon des longueurs diverses ou aménagés avec un dispositif interne.
Les coquilles d'escargot, percées d'un trou plus ou moins circulaire et faisant fonction d'ocarina, se jouent en modifiant l'ouverture de la bouche de la coquille pour obtenir plusieurs sons.
(...)
La pratique de cet aérophone fait d'une coquille d'escargot commun le petit-gris, survit de nos jours en Poitou.
[...]

Le rhombe, instrument avec lequel l'on fait vibrer l'air alentour. Le son produit par chaque instrument dépend de la taille de celui-ci, du matériau employé, mais également de la vitesse de ro­tation. Généralement pisciforme, il peut être ovale, en losange ou en forme de pale. La condition de bonne rota­tion de cet instrument est sa minceur. Si d'autres objets de même forme, comme les pendeloques, peuvent être confondus sur les sites de fouilles avec des rhombes, c'est cri expérimentant leur aptitude à la rotation et au vrom­bissement – en façonnant un fac-similé rigoureusement identique tant par sa forme que par son matériau et en uti­lisant pour ce faire des outils rudimentaires employés à la même époque – que l'on obtient la preuve de l'usage es­sentiellement sonore de ces objets.
Les bords souvent effilés de ces instruments peuvent être également crantés, ainsi qu'il apparaît dans plusieurs cas. On se trouve parfois aussi en présence d'un décor sur le limbe, différent des signes géométriques gravés ou des encoches marginales : certains rhombes portent un décor animal ou humain assez raffiné dans sa représentation, comme des cervidés, des bisons ou des aurochs – c'est le cas pour les rhombes de l'abri Morin et du Lortet.
Le passage du lien se fait soit par un simple trou, soit sur un renflement à l'extrémité de la pale, également percé. Aucune de ces cordelettes n'a bien sûr survécu au temps. Mais les re­cherches menées pour déterminer la nature de cette corde font penser que sa facture compte plus encore dans la ro­tation que la forme précise du rhombe; ainsi, la façon de tresser deux liens ensemble paraît avoir une incidence di­recte sur le son. En rapprochant cette pratique de celle que l'on retrouve couramment chez les Eskimo et les Inuit, on peut imaginer que l'usage de tendons d'animaux étirés et tordus en guise de liens et de cordes était une technique uti­lisée au paléolithique, en particulier dans le cas du rhombe. Le vrombissement produit, qui dépend de la dimension et de la forme du rhombe, résonne de façon particulièrement im­pressionnante en caverne. La voix basse des pales de grand format imite ainsi étrangement la tessiture du meuglement du bison ou de l'aurochs (environ 35 hertz). D'autre part, le tournoiement imprimé à la pale anime par effet cinétique son décor, qu'il soit géométrique ou figuratif, donnant à ces mo­tifs une vie qui allie au son l'image en mouvement.

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